Auteur(s)

Réiseal Ni Chéilleachair & Dr. Fiona Shanahan

Quand on a besoin d’aide, on se tourne vers le local

Lorsque des personnes sont confrontées à une crise, elles cherchent en général du soutien auprès de ceux qui sont les plus près d’elles : au sein de leur famille, de leurs groupes sociaux et de leurs communautés. La continuité de la présence et la cohérence du soutien, sans considération d’échelle ou de statistiques, est souvent ce qui distingue un acteur local d’un acteur international. Dans le domaine de la protection, le local est clé : c’est là que repose la confiance.

Dans le cadre des engagements de Trócaire en matière de protection et en vue d’un appui à la protection mieux enraciné pour les communautés et avec les communautés elles-mêmes, l’organisation a récemment mené un travail de recherche en Birmanie, en RDC et au Liban auprès d’ONG locales qui mettent en œuvre des interventions de protection dans des environnements difficiles à atteindre, inaccessibles ou complexes en ville.

Pour que la localisation prenne tout son sens, notre étude avance qu’une « réponse localisée » doit impliquer que les initiatives sont conçues par des ONG locales en partant du terrain pour garantir une bonne articulation entre le soutien demandé et le soutien proposé. Il est également important de reconnaître que, dans le secteur de la protection, la grande majorité des intervenants de première ligne sont des femmes locales. C’est tout particulièrement le cas pour les actions de réponse aux violences à caractère sexiste mais c’est aussi évident, de façon plus large, au sein des domaines traditionnellement dominés par les femmes comme la santé mentale et le soutien psychosocial. Or, ces femmes sont confrontées à d’importantes difficultés à l’intérieur du secteur humanitaire. Les ONG locales mettent souvent en œuvre des interventions où l’accès est compliqué, il existe peu d’organisations spécialisées – voire aucune – qui s’occupent de cas signalés, et enfin participants et personnel du projet font face à des risques importants.

 

Des questions complexes

Les ONG locales qui interviennent en mettant en œuvre des actions de protection, y compris des réponses aux violences à caractère sexiste, rencontrent donc des problèmes significatifs. Dans les contextes étudiés, les ONG locales acteurs de la protection connaissent des difficultés d’accès, notamment au niveau des négociations avec les acteurs armés pour accéder aux populations dans le besoin. Des schémas complexes de violence se déroulant dans des contextes affectés par un conflit de façon prolongée ont un impact sur la mise en œuvre des services, en particulier lorsque le soutien concerne des individus qui ont subi des événements multiples et cumulatifs, potentiellement traumatiques.

Un plus grand nombre de dossiers à traiter et de nouvelles arrivées rapprochées dans les camps ou les communautés d’accueil sur une période prolongée ont également des effets négatifs sur le personnel situé en première ligne, dont la majeure partie est issue de la communauté affectée par le conflit. Les ONG locales peuvent aussi rencontrer des difficultés pour ce qui est d’affirmer et de préserver leur autonomie technique, et leur contrôle sur le programme dans des contextes où des pressions considérables peuvent être ressenties par les ONG locales afin qu’elles mettent en œuvre des modèles ou des méthodologies promues par des organisations internationales.

 

Ne pas nuire

Reconnaître les capacités des ONG locales engagées dans des travaux de protection et travailler de façon collaborative sont deux points essentiels. Dans un secteur où les ressources manquent, les ONG locales doivent faire des choix difficiles pour décider avec qui travailler et comment. Elles sont en outre souvent soumises à des pressions qui ont un impact négatif sur leur expertise et déplacent la dynamique de pouvoir du local vers l’international.

Une réflexion et une planification à court-terme peuvent également affecter négativement la relation entre acteur local et communauté, mais aussi un individu qui dépend du soutien continu d’une communauté.

Les ONG locales ne sont pas plus un auxiliaire des communautés qu’une copie conforme des ONG internationales. Ce sont des entités individuelles dotées d’une identité et de leurs propres motivations qui ne sont pas toujours directement alignées sur les priorités des populations et des communautés affectées par la crise, mais qui cherchent aussi parfois à atteindre des objectifs stratégiques à plus long terme. Le soutien de l’ONG internationale partenaire, au nom de la localisation, doit reconnaître et respecter les objectifs les plus larges des ONG locales, et éviter des initiatives cycliques (ou ponctuelles) à court terme qui n’aident pas de façon efficace les partenaires à renforcer leurs capacités opérationnelles et institutionnelles.

Ainsi, penser à court terme les programmes de protection peut non seulement endommager la qualité de la relation entre une ONG locale, les communautés et les individus, mais aussi affaiblir au final une ONG. Un programme de protection qui demande d’importantes ressources humaines pour une courte période de temps crée chez les participants du programme des attentes en matière de soutien continu, et sape les capacités des ONG locales à maintenir leurs propres standards et systèmes.

Le travail de protection nécessite beaucoup de ressources humaines. Conserver du personnel qualifié et expérimenté requiert financement durable, sécurité de l’emploi, reconnaissance des risques que rencontre le personnel de protection et mécanismes permettant de minimiser de tels risques. Le spectre des ONG locales qui travaillent dans le domaine de la protection est immense, et bien qu’aucune organisation ne ressemble à une autre, tous les acteurs de la protection rencontrent des problèmes similaires en lien avec la part qu’occupent les ressources humaines (y compris la professionnalisation, le soutien et la supervision) dans les intrants du programme et les difficultés associées à un financement continu des actions mises en œuvre. Dans le travail de protection, la qualité et la continuité des financements détermineront l’efficacité et l’impact de la réponse, l’attention offerte au personnel ainsi que la santé à long terme de l’ONG locale.

Dans notre récent travail de recherche sur la localisation 2 réalisé en collaboration avec le Groupe URD, nous avons présenté une série de recommandations très détaillées. Celles-ci, spécifiques au travail de protection, doivent être considérées comme des exigences minimums pour le soutien aux ONG locales en matière de programmes de protection.

  • Éviter des approches fondées sur des projets cycliques à court terme qui ne soutiennent pas de façon efficace les partenaires dans le renforcement de leurs capacités opérationnelles et institutionnelles ;
  • S’engager dans des partenariats au-delà de la durée d’un contrat via un Protocole d’accord qui reflète les ambitions et objectifs partagés des deux structures tout en les inscrivant dans des objectifs stratégiques de plus long terme ;
  • Travailler avec ses partenaires au développement de stratégies de financement institutionnelles qui comprennent une analyse des coûts de base minimums que nécessitent les périodes de « soudure » (entre deux financements) ;
  • Promouvoir un soutien des capacités à la fois intelligent et stratégique – Le renforcement des capacités (à la fois techniques et organisationnelles) doit être stratégique et complémentaire, appuyant la stratégie de l’organisation, au-delà de la durée de tout financement spécifique ;
  • Admettre que l’engagement en faveur des acteurs locaux a un coût – S’engager dans des discussions avec des acteurs locaux pour comprendre les étapes permettant de sécuriser les financements, les difficultés logistiques liées au maintien d’une présence constante au sein du système Cluster, le coût de ces deux démarches et développer une compréhension approfondie de la manière dont les organisations locales couvrent ces coûts pour répondre à des exigences diverses de bailleurs et de partenaires.

 

Réiseal Ni Chéilleachair, Responsable de la Politique humanitaire, Trocaire

Dr. Fiona Shanahan, Responsable Protection, Trocaire

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p. 26-27