Auteur(s)

Henri Nzeyimana

Après la courte période de paix et de fierté nationale qui a suivi l’accord de paix global au Soudan en 2005 et la déclaration d’indépendance du 9 juillet 2011, le Soudan du Sud a de nouveau replongé dans le conflit le 15 décembre 2013.

Les publications récentes sur la réponse humanitaire au Soudan du Sud indiquent une tension croissante entre le gouvernement et la communauté humanitaire ainsi qu’un mécontentement au sein des ONG locales et nationales quant au niveau de leur participation dans la réponse en cours (Nicki Bennett, 2013).

On constate actuellement un ressentiment croissant au Soudan du Sud à l’encontre des travailleurs étrangers. En septembre 2014, le ministre du Travail du Soudan du Sud a publié une directive demandant l’expulsion des ressortissants étrangers travaillant avec des ONG et des entreprises privées d’ici la mi-octobre pour qu’ils soient remplacés par des Soudanais du Sud avant de la retirer suite à une forte désapprobation au sein de la communauté humanitaire (BBC, 16 septembre 2014).

Selon le document d’information des organisations de la société civile nationale du Soudan du Sud, publié pour la Conférence des donateurs d’Oslo en 2014, ces organisations ne sont pas suffisamment représentées dans la réponse humanitaire malgré l’avantage comparatif de leur présence, de leur proximité avec les populations affectées et de leur rapport coût-efficacité impliqué par leur bas coût et leur rapide disponibilité : « […] les organisations de la société civile nationale du Soudan du Sud offrent un avantage unique qui fait d’elles des opérateurs de l’urgence et de la réponse humanitaire plus rapides et moins chers. […] Les ONG nationales ont un grand esprit de volontariat et de faibles demandes au niveau logistique, ce qui démontre un bon rapport coût-efficacité en tant qu’opérateurs de la réponse humanitaire. » (South Sudanese National CSO Position Paper, May 2014, p. 2)

Les critiques portant sur les initiatives humanitaires passées au Soudan du Sud (Volker Riehl, 2001; Bennett, J. et al., 2010 ; Humanitarian Practice Network, 2013 et Daniel Maxwell, 2014) pointent l’échec des acteurs humanitaires en matière de développement des capacités locales mais aussi pour élaborer une réponse humanitaire à partir de besoins identifiés. Ces critiques concernent en outre le modèle d’intervention, qui a priorisé les réponses à court terme au détriment des appuis à long terme en faveur des institutions de l’État et des structures de la société civile ainsi que du renforcement des moyens de subsistance des communautés pour améliorer leur résilience et leurs mécanismes de survie.

 

L’action humanitaire focalisée sur le développement

Si l’objectif principal de l’action humanitaire est de sauver des vies, de soulager les souffrances et de restaurer la dignité, les publications récentes montrent que l’action humanitaire devrait englober l’approche du développement. Les statistiques fournies par le Global Humanitarian Assistance (GHA) Report 2014 indiquent en effet qu’il existe une corrélation entre crises humanitaires, pauvreté et conflit. Les données du GHA soulignent également que l’assistance humanitaire a été le plus souvent dirigée vers les pays touchés par des conflits durant ces dernières années et estiment à 179,5 millions le nombre de personnes vivant dans une pauvreté extrême au sein de pays classés comme bénéficiaires d’une assistance humanitaire de long terme en 2012 (GHA, 2014, p. 13).

L’analyse des données du GHA révèle que, dans certains cas, les crises humanitaires surgissent d’abord et avant tout de déséquilibres de développement et d’une répartition inégale des ressources et des priorités du développement : « Parce que les dépenses gouvernementales intérieures au sein des pays en voie de développement dépassent actuellement les 6 milliards de dollars US par an, ces ressources peuvent venir en appui à la résilience à long terme des populations face aux chocs. Toutefois, pour de nombreux pays, en particulier ceux confrontés à des crises profondes, les dépenses par personne du gouvernement national restent faibles avec peu de perspectives de croissance. Près de 40 % de l’assistance humanitaire à long terme est allée à des pays dont les dépenses gouvernementales sont inférieures à 500 dollars US par personne par an, soit le quart de la moyenne des pays en voie de développement. » (GHA, 2014, p. 13)

La réponse humanitaire en cours au Soudan du Sud indique que « l’aide alimentaire constitue la majeure partie de la réponse humanitaire de la communauté internationale au Soudan du Sud avec 2,7 millions de personnes bénéficiaires de l’assistance alimentaire en 2012 » (Toby Lanzer, South Sudan Greatest Humanitarian Challenge: Development, p. 3). Pourtant, le Soudan du Sud présente un fort potentiel en matière de production agricole et de bétail mais investit peu dans le secteur agricole « avec une part du budget national du Soudan du Sud pour l’agriculture qui se situe actuellement à 5,2 % en-dessous de l’indicateur de la Déclaration de Maputo de 2003 qui est de 10 % » (ibid., p. 4).

Selon Toby Lanzer, les urgences au Soudan du Sud pourraient être évitées si des efforts plus importants étaient faits pour soutenir les interventions de développement, mais aussi améliorer les capacités étatiques et la gouvernance locale : « Néanmoins, de manière à construire un État viable et durable dans lequel les populations sont capables de résister aux turbulences sans secours d’urgence de grande ampleur et à fort coût, s’attaquer au sous-développement demande de notre part un soutien accru. » (ibid, p. 5)

Bennett, J. et al. (2010), mais aussi Daniel Maxwell et Martina Santschi (2014), avancent que l’architecture de l’aide et la programmation au Soudan du Sud n’ont réussi à répondre ni aux dynamiques de conflit ni aux perspectives de paix et que des acteurs internationaux sont obligés de naviguer entre réponse humanitaire à court terme et besoins à long terme pour contribuer à la paix et au développement, ce que la rigidité des financements ne permet pas.

Daniel Maxwell et Martina Santschi (2014) affirment que la soudaine reprise du conflit en 2013 a forcé les acteurs à revenir à une réponse d’urgence ainsi qu’à réajuster leurs programmes et financements pour satisfaire les besoins d’une réponse d’aide d’urgence. Dans le même temps, les acteurs doivent prendre en compte des perspectives à long terme pour soutenir les initiatives de paix. Cela prouve que le besoin de lier urgence et développement dans le cadre d’urgences prolongées est une réalité au Soudan du Sud.

 

Vivre des butins de guerre : un marché humanitaire autonome

La logique de renforcement des capacités locales en matière d’action humanitaire, de consolidation de la paix et de développement peut être évaluée en fonction du volume d’argent de l’aide qui a été englouti dans des opérations d’urgence depuis l’époque de l’OLS (Operation Lifeline Sudan) en 1989. 2 milliards de dollars US ont été dépensés pour des approvisionnements d’urgence entre 1990 et 2000, soit une moyenne annuelle de 200 millions de dollars US (Volker Riehl, 2001, p. 8). Le ratio coût-bénéfices généré par le renforcement des capacités locales pour la prévention et une préparation/réponse bon marché mais efficiente demande une analyse approfondie pour étayer cette affirmation.

La dépense par individu de l’aide humanitaire entre 2012 et 2014 au Soudan du Sud, sur la base de 300 millions de dollars (budget total du Common Humanitarian Fund) pour 6,4 millions de personnes affectées, est donc d’environ 47 dollars US.

Or, selon Alex de Waal, le Soudan du Sud peut produire 350.000 barils de pétrole par jour. Grâce aux revenus générés, chacun des 8 millions d’habitants pourrait ainsi gagner 1000 dollars US par an. Alex de Waal ajoute que les revenus tirés du pétrole au Soudan du Sud s’élèvent à 650 millions par mois (Alex de Waal, 24 janvier 2012). Avec ces gains, le pays pourrait également fournir une assistance bien utile à ses concitoyens affectés par le conflit. Cependant, avec la guerre qui fait rage dans plus de 7 régions sur 10 du Soudan du Sud et principalement dans les régions riches en pétrole d’Unity, de Jonglei et d’Upper Nile, le gouvernement national est en train de modifier ses priorités en matière de dépense. On estime en effet que 70 % du budget gouvernemental va à la sécurité et aux dépenses militaires (KOFF Newsletter, n°131 – octobre 2014). Par ailleurs, l’arrêt de la production de pétrole en janvier 2014 – alors que les revenus du pétrole représentent 98 % des revenus du gouvernement (Toby Lanzer, 2013) – a encore affaibli les perspectives de développement du Soudan du Sud et rendu possible de nouveaux conflits et une plus forte dépendance vis-à-vis de l’aide humanitaire internationale.

 

Universalisme vs. relocalisation : le dilemme des principes humanitaires

La relocalisation de la réponse humanitaire au Soudan du Sud est également compromise par le dilemme que rencontrent les acteurs humanitaires en apportant une réponse humanitaire ancrée dans des principes. En effet, en conservant les principes de neutralité et d’indépendance, les acteurs humanitaires travaillent à proximité de l’État sur des terrains où le gouvernement est partie au conflit. Cela a engendré des suspicions et de la défiance entre la communauté humanitaire et les représentants du gouvernement (Nicki Bennet, 2013 ; Daniel Maxwell et Martina Santschi, 2014).

Des données provenant d’entretiens avec des acteurs impliqués dans la réponse humanitaire au Soudan du Sud (HI, CICR, ICVA et SDC, en juin-juillet 2015) confirment ce dilemme. Toutes les personnes interrogées confirment que les acteurs nationaux et locaux sont affectés par le conflit et que la diversité tribale et ethnique au sein des acteurs locaux est reflétée dans la crise politique en cours.

De même que les acteurs internationaux veulent pouvoir se fier à de l’expertise externe comme garantie de neutralité et d’impartialité de l’aide internationale au Soudan du Sud, la politisation et l’instrumentalisation croissantes de l’aide éloignent de plus en plus la communauté humanitaire des populations à qui elle souhaite venir en aide.

Comme Ian Christoplos (2005) l’a clairement indiqué, les acteurs humanitaires internationaux ne représentent plus la garantie d’une neutralité et d’une impartialité humanitaires face à la politisation croissante de l’aide et à l’impact que cela a sur la sécurité et l’accès pour les acteurs internationaux. De même, comme le remarque le Directeur adjoint des opérations au Soudan du Sud, les principes de neutralité et d’impartialité ne se décrètent pas mais doivent être perçus comme la traduction d’actions concrètes que réalisent les acteurs humanitaires sur le terrain. De plus, comme le soutiennent les personnes interrogées, l’objectif final du développement des capacités des acteurs locaux devrait être la capacité des acteurs à améliorer l’accès et l’assistance aux populations affectées (ICVA, ICRC, SDC, HI, 2015).

Pour cette raison, soutenir les institutions gouvernementales et les acteurs de la société civile ne doit pas être négligé mais évalué en fonction de la valeur ajoutée que cela peut apporter à la réponse humanitaire. Pour Daniel Maxwell et Martina Santschi (2014) : « Il existe néanmoins toujours de bonnes raisons pour que les efforts de liaison et de coordination soient dirigés par le gouvernement de la République du Soudan du Sud… Si, comme cela semble de plus en plus probable, la situation évolue en une crise prolongée, les organisations humanitaires et le gouvernement devront travailler ensemble. Identifier et soutenir les relations positives – tout en clarifiant le désarroi relatif aux violations des droits de l’Homme – est à la fois essentiel et possible. » (2014, p. 9)

La littérature spécialisée montre que la relocalisation de la réponse humanitaire au Soudan du Sud va au-delà des questions traditionnelles portant sur les lacunes de capacités, le système de financement, les mécanismes de coordination et les partenariats entre acteurs nationaux et organisations d’aide internationales. Un tel processus demande un changement de paradigme complet au niveau du financement et de la programmation des approches, y compris un changement total de mentalité et de culture au sein des acteurs internationaux de l’aide en ce qui concerne le calendrier du renforcement des capacités. Cela nécessite que les acteurs locaux et nationaux adoptent un regard introspectif pour y puiser leurs ressources intrinsèques et pour explorer les opportunités disponibles dans le but de passer de partenariats centrés sur la distribution à des partenariats répondant à des besoins aussi bien pour les collaborations humanitaires et de développement avec le Nord.

 

La force intérieure : vers une réponse humanitaire décentralisée au Soudan au Sud

La littérature spécialisée confirme, d’une part, la vieille rhétorique du renforcement des capacités et, d’autre part, l’inaction et le status quo au niveau de la domination des acteurs internationaux sur le terrain. Cependant, on constate un consensus croissant pour dire que la situation doit changer et, de fait, a changé. Il se peut que le changement ne vienne pas de la bonne volonté d’acteurs internationaux soucieux de renverser la tendance mais plutôt de réalités qui changent au sein du système de l’aide internationale et de la distribution de l’assistance humanitaire.

Pour Ian Christoplos (2005) : « Le secteur humanitaire n’est plus dominé par les expatriés et ne devrait plus l’être. Les organisations sont amenées par les réalités sécuritaires et financières, ainsi que par leurs propres engagements normatifs, à se reposer sur les organisations locales et le personnel recruté au niveau national. En matière de renforcement des capacités, les priorités sont fixées par le besoin de s’adapter à ces nouvelles réalités. Il devient de plus en plus difficile de reléguer le renforcement des capacités à la place de priorité secondaire. » (2005, p. 36)

Ian Christoplos critique l’approche du renforcement des capacités car elle se fonde uniquement sur de la formation pour sauver des vies de façon plus efficiente et améliorer la mise en œuvre des services. Il affirme également que le « nomadisme institutionnel » et le fort renouvellement du personnel au sein des acteurs nationaux et internationaux ne contribue pas au renforcement des capacités à long terme alors qu’il existe un réel besoin d’acteurs locaux et internationaux prenant leurs responsabilités dans le cadre de la réponse humanitaire.

Des données provenant d’entretiens réalisés en juin et juillet 2015 (HI, ICRC, ICVA et SDC) confirment que la relocalisation de la réponse humanitaire dans le Soudan du Sud est difficile mais pas impossible. Toutes les personnes interrogées sont d’accord pour dire que le Soudan du Sud a le potentiel interne pour éviter les crises et traiter les questions de développement. Toutefois, elles estiment que le gouvernement comme les organisations de la société civile devraient s’appuyer sur les forces et les opportunités existantes, et accepter de travailler sur leurs faiblesses internes pour avancer dans ce processus de relocalisation.

 

Recentrer le discours sur le renforcement des capacités

En ce qui concerne le renforcement des capacités, les statistiques du Forum des ONG du Soudan du Sud indiquent que 9 employés sur 10 travaillant pour une ONG internationale sont Soudanais du sud (South Sudan NGO Forum Employment Survey, 2013). Les employés nationaux qui travaillent pour les ONG internationales sont formés et occupent des postes de support dans les domaines techniques et de gestion. Certains d’entre eux pourraient donc compenser le manque d’expertise des ONG nationales s’ils travaillaient pour elles. Cela serait l’une des manières de promouvoir en interne un renforcement des capacités pour quelques ONG nationales sélectionnées. Les bailleurs doivent prendre en compte cette option et la soutenir au moyen d’incitations permettant de compenser les hauts salaires payés par les ONG internationales.

Une personne interrogée pointe également le fait que le Soudan du Sud connaît une réduction de son personnel qualifié, en général à cause d’une gestion inadéquate du capital humain. La majorité du personnel qualifié passe en effet d’une ONG internationale à une autre à la recherche de meilleures opportunités professionnelles, de salaires compétitifs et d’avantages sociaux.

De plus, les organisations de la société civile devront se forger une véritable identité nationale et refléter la diversité de la gouvernance des ONG au sein de leurs équipes opérationnelles et managériales. Elles devront également délaisser leurs intérêts individualistes et créer de l’expertise ou des réseaux thématiques et des consortiums dans le but de parler d’une seule voix et de former un front uni pour faire avancer le dossier du renforcement des capacités et négocier des partenariats équitables avec les acteurs extérieurs.

La littérature spécialisée montre que le renforcement des capacités en matière d’action humanitaire doit être anticipé bien avant que la catastrophe ne survienne ou que la violence armée ne se produise. Il doit également survivre aux grosses opérations d’urgence pour accompagner les communautés affectées dans leur processus de relèvement. Cela demandera de la flexibilité au niveau des financements et une collaboration entre acteurs de l’urgence et acteurs du développement pour coordonner le renforcement des capacités avant et après la crise. Les résultats doivent avoir un impact sur la performance humanitaire, mettre sur la voie d’un relèvement harmonieux et mener à du développement.

L’expérience récente, en ce qui concerne la capacité d’urgence de l’équipe de réponse rapide (Rapid Response Team, RRT) dans son traitement de l’urgence de niveau L31 au Soudan du Sud, n’offre pas les opportunités suffisantes pour que les acteurs locaux et nationaux puissent apprendre et développer leurs capacités de réponses. Plutôt que de soutenir le personnel permanent au sein des programmes d’urgence au Soudan du Sud, l’équipe RRT a repris le contrôle et mis de côté le personnel existant. Pour être plus durable à long terme, une telle expertise internationale gagnera à mettre en place un hub régional pour développer les capacités au préalable, mais aussi piloter et suivre les performances durant les opérations d’urgence.

Les bailleurs devront être assez flexibles pour appuyer cette initiative visant au développement des capacités d’anticipation. Le mode opératoire de gestion à distance (remote management) prouve désormais dans les faits qu’il est un bon exemple de renforcement des capacités opérationnelles et de gestion au préalable pour compenser des défauts de qualité et réduire la charge de travail.

 

Résoudre le paradoxe de la coordination

Aujourd’hui, la coordination est de type vertical (du haut vers le bas) et l’on constate sur le terrain que les acteurs locaux et nationaux y sont de plus en plus mis de côté. Les procédures standardisées (une solution unique pour tous) tendent à négliger les réalités locales et contextuelles ainsi qu’à empêcher les communautés affectées d’avoir leur mot à dire dans la gestion de la réponse humanitaire et du processus de relèvement. Au Soudan du Sud, l’existence de forums de coordination parallèles ne joue sûrement pas en faveur du développement de capacités indigènes puisque cela peut même causer de la duplication de services. Cela étant, le Forum de coordination dirigé au niveau international gagnera à mettre en avant le personnel local et national au sein d’autres forums de coordination et ce, à différents niveaux, pour leur permettre de davantage développer leurs capacités de coordination.

Les organisations régionales comme l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), la Communauté d’Afrique de l’Est et l’Union africaine jouent un rôle de facilitateur dans la résolution du conflit au Soudan du Sud. On constate le besoin de davantage développer la prévention et l’arsenal de la réponse d’urgence au sein des organisations. Des référents humanitaires devront être désignés pour coordonner les financements et les programmes humanitaires au sein des pays membres.

 

Au-delà des principes de Paris : joindre le geste à la parole en matière d’efficacité de l’aide

Toutes les personnes interrogées (HI, ICRC, ICVA et SDC, 2015) s’entendent sur le fait que le développement des capacités locales mais aussi la relocalisation des processus humanitaires et de développement au Soudan du Sud ont besoin d’un environnement propice pour prendre forme. La sécurité et la paix, ainsi qu’un environnement de travail favorable, permettront de soutenir un investissement à long terme dans le capital humain et d’éradiquer les terreaux propices aux conflits sociaux et à la violence.

Pour faire progresser la réponse humanitaire focalisée sur le développement, les acteurs de l’aide doivent reconsidérer la répartition de l’aide et prioriser une assistance au développement à plus long terme. Pour de nombreux bailleurs, l’action humanitaire est devenue un substitut à l’action politique et au soutien du développement. Les statistiques 2014 du GHA indiquent que la plupart des bailleurs de l’OCDE/DAC contribuent à hauteur de 0,7 % de leur Produit Intérieur Brut à l’aide publique au développement (APD) alors que la proportion de l’APD en faveur de l’assistance humanitaire s’élève à 10 % sur la dernière décennie (GHA, 2014, p. 105). De notre point de vue, il serait donc plus avantageux d’augmenter la contribution de l’APD et d’allouer un pourcentage spécifique aux interventions de prévention et de préparation, ce qui inclut le fait de promouvoir le développement des capacités des acteurs nationaux.

Cependant, des données issues de tous les entretiens indiquent qu’il sera nécessaire de renforcer les capacités des ONG locales en développant des demandes de financement, la gestion du cycle de projet, le reporting et la communication pour venir en aide de façon efficiente aux populations affectées.

 

Investir dans les individus et améliorer la gouvernance locale

Au Soudan du Sud, les organisations de la société civile devront faire du lobbying auprès du gouvernement pour améliorer la gestion des réserves de pétrole et l’utilisation efficace des revenus associés et ce, dans le but de promouvoir ce qu’un membre du personnel de SDC appelle une politique du « Pétrole pour les populations ». Elles doivent également rechercher des opportunités de financement alternatif auprès d’investisseurs privés comme les entreprises de télécommunication et pétrolières mais aussi mobiliser les diasporas pour récolter des dons. Il est urgent de renforcer les capacités de coordination de la Commission pour les secours et la réhabilitation et le rôle de surveillance du ministère des Affaires humanitaires et de la Gestion des catastrophes pour faire avancer une politique de développement, de réduction des risques de catastrophe et de prévention.

La relocalisation de la réponse humanitaire au Soudan du Sud doit prendre en compte des changements multidimensionnels tels qu’une relation de partenariat équitable et un financement à long terme qui permettent de créer un lien dans le contiguum urgence-développement. Il s’agit d’un processus à long terme qui nécessite des financements flexibles et un mécanisme de coordination centré sur les populations affectées, mais aussi une amélioration de la gouvernance locale et un investissement dans le capital humain si l’on veut pouvoir naviguer dans l’environnement parfois mouvant de l’urgence et préparer le terrain au relèvement et au développement.

Pour Ian Smillie et Larry Minear (2004), la route vers la relocalisation va au-delà de la nature volontaire et charitable de l’action humanitaire pour englober un effort qui renvoie à des droits avec des obligations pour faire plus et mieux. Cela va également au-delà de l’« économie politique de l’action humanitaire » qui se focalise sur les besoins et les demandes des bailleurs et des organisations internationales pour remettre l’organisation et l’amélioration de la situation des populations affectées au centre des enjeux. Cette approche suppose de délaisser celles du « ad hoc » et du « à prendre ou à laisser » pour leur préférer une action humanitaire plus redevable, prévisible, orientée vers le développement et transparente dans le but de remplir l’impératif humanitaire.

 

Henri Nzeyimana, diplômé de la Maîtrise d’études avancées du CERAH (Genève, 2014-2015).
Il a travaillé avec différentes organisations dont Save the Children et UNICEF en tant qu’expert pour la protection de l’enfance.

Cet article est un extrait d’une dissertation présentée pour l’obtention du diplôme.

 

Références bibliographiques

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  1. En déclarant qu’une crise est une urgence de niveau 3 (L3), le Coordinateur des secours d’urgence des Nations unies cherche à mobiliser les ressources, leadership et capacités du système humanitaire pour répondre à des circonstances exceptionnelles. La décision qui consiste à désigner une urgence comme étant de niveau L3 est prise sur la base de 5 critères : l’échelle, l’urgence, la complexité des besoins, mais aussi le manque de capacités domestiques pour répondre et le « risque réputationnel » qu’encourent le Bureau des Nations unies pour la coordination des Affaires humanitaires (OCHA) et les Nations unies (GHA, 2014, p. 57). La crise au Soudan du Sud a été déclarée urgence de niveau L3 en février 2014.

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