Auteur(s)

Rayan El Fawal

L’accès à une région peut être perturbé par plusieurs facteurs comme : l’interdiction de l’accès à une zone ou une région spécifique par les autorités en charge de la sécurité ; la non délivrance de visas au personnel international d’une organisation ; l’incertitude d’une situation qui amène une organisation à ne pas mettre en danger la vie de son équipe ; ou des menaces de toute sorte contre des membres de son personnel qui incite une organisation à limiter leurs déplacements.

Afin de mieux gérer la situation, les organisations peuvent avoir recours à un type de gestion combiné ou hybride, lequel allie gestion à distance et gestion directe, en fonction du type de service à fournir. Ce faisant, les bailleurs et les organisations internationales acceptent de faire des compromis inhérents à la gestion à distance. Même s’ils ne s’y limitent pas, on compte parmi ces compromis : les tensions nées de l’absence de contact direct entre les ONG internationales et les partenaires locaux, le manque de confiance, et enfin des solutions limitées au niveau du choix des partenaires locaux, ce qui, dans certains cas, peut amener les ONG internationales et les bailleurs à travailler avec des groupes non répertoriés.

Au Liban, plusieurs régions frontalières avec la Syrie ont été définies comme des « zones rouges » ou des zones à haut risque par certaines ambassades et certains bailleurs internationaux. Ces zones étaient également le foyer de communautés parmi les plus vulnérables du Liban en raison des nombreuses arrivées de réfugiés qui ont eu lieu depuis 2011. De ce fait, et parce que ces zones étaient déjà des territoires marginalisés et sous-développés, cela avait du sens que les bailleurs internationaux y financent des activités. Cependant, en raison de l’accès limité, ces activités sont souvent gérées à distance. Arsal est l’une de ces villes libanaises situées à la frontière est avec la Syrie, dans une zone montagneuse inhabitée qui s’étend sur 40 km, ce qui rend la ville presque impossible à contrôler. Avec environ 50.000 habitants et une population de réfugiés encore plus importante, la situation humanitaire, sociale, politique et économique d’Arsal n’a cessé de se détériorer. Les organisations internationales y ont donc poursuivi leurs opérations.

Durant l’été 2013, Arsal a assisté à la seule invasion de Daesh au Liban, événement qui a marqué le retrait officiel des organisations internationales de la ville et le passage de leur mode opératoire classique à une gestion à distance. Différentes organisations ont adopté différentes approches : (1) faire totalement confiance à leurs partenaires locaux pour mettre en œuvre les projets, (2) engager du personnel local pour représenter leur organisation, (3) utiliser un modèle plus hybride, avec des visites occasionnelles mais où la majeure partie de la mise en œuvre reste aux mains de leurs partenaires locaux.

Même si la gestion à distance peut apporter du confort à certains, elle est vue comme un fardeau par d’autres. C’est en particulier le cas pour les ONG qui, dans le cadre de la gestion à distance imposée par le bailleur, sont obligées de rédiger des rapports détaillés de façon continue pour s’assurer que l’impact leurs actions est bien remarqué. De manière générale, les organisations locales et internationales qui ont expérimenté l’approche dite de « gestion à distance » se rejoignent dans les grandes lignes quant à ses avantages et inconvénients. Étant donné que le bailleur ne supervise pas directement la mise en œuvre, la gestion à distance devrait en théorie faciliter le travail des partenaires locaux mais, dans les faits, les organisations locales trouvent cette approche plus difficile. En effet, elles préfèrent généralement une relation de partenariat avec le bailleur, plutôt qu’une relation verticale « descendante » entre bailleur et receveur, car avec les partenariats, succès et échecs sont partagés. La confiance joue un rôle essentiel dans le cadre d’une gestion à distance car, lorsqu’elle vient à manquer, des tensions apparaissent qui affectent le processus de mise en œuvre du projet. Par ailleurs, dans le cadre d’une gestion directe, la présence du bailleur sur le terrain donne de la crédibilité à l’ONG locale au sein de sa communauté. En outre, une crédibilité encore plus importante provient de la diversification des bailleurs et de la transparence en matière d’origine des fonds, la communauté étant rassurée par le fait que cet argent n’est pas utilisé en fonction d’appartenances religieuses et/ou politiques. Lorsque Jusour Annoor, une ONG locale basée à Arsal, a mis en œuvre un projet sans que le bailleur puisse se rendre sur le terrain pour des raisons de sécurité, l’équipe s’est efforcée de mieux communiquer avec la communauté locale, de partager les avancées, de recueillir les préoccupations et de satisfaire les besoins. Les organisations locales comme Jusour Annoor qui travaillent dans des zones à risque élevé sont toujours très reconnaissantes vis-à-vis des organisations et des bailleurs internationaux qui maintiennent une certaine forme de présence sur le terrain parce que celle-ci renforce leur travail et leur montre fait qu’elles ne sont pas livrées à elles-mêmes.

Bien qu’il soit important de toujours faire passer la sécurité en premier, les organisations ont dans certaines situations le sentiment que la sécurité est utilisée comme un prétexte par le personnel des organisations internationales qui préfère rester dans son bureau plutôt que de se rendre sur le terrain dans des zones isolées. Ce type de comportement affecte la réputation du personnel international, et, par conséquent, celle de leurs organisations. La gestion à distance en période de crise présente néanmoins un avantage important dans certains cas comme la distribution de biens où la mise en œuvre peut être plus rapide. Cela est dû au fait que l’approvisionnement se fait localement, si bien que le temps passé à trouver les articles et à les transporter est négligeable. En revanche, un inconvénient important de la gestion à distance du point de vue des organisations locales réside dans l’absence de partage d’expérience et d’apprentissage. Dans de nombreux cas, durant la mise en œuvre de certains projets, les organisations locales se tournent vers les organisations internationales pour partager connaissances et expérience, ce qui leur permet d’apprendre, de s’adapter et de grandir. Un dernier défi causé par la gestion à distance est celui du reporting : en effet, parce que le bailleur est loin du terrain, l’ONG locale subit une forte pression pour produire un plus grand nombre de rapports narratifs, de vidéos, de photos et d’outils en tout genre. Pourtant, même si les ONG locales voient leur responsabilité augmenter au niveau des éléments à transmettre, certaines peuvent profiter de l’absence du bailleur pour présenter de fausses informations.

En ce qui concerne l’expérience de LRC – LebRelief à Arsal, elle s’est limitée à coordonner la distribution de tentes Shelterbox avec Jusour Annoor pour répondre à l’une des plus importantes arrivées de réfugiés. Shelterbox a effectué une visite initiale avec LRC – LebRelief avant de gérer par la suite la distribution à distance, y compris l’identification des bénéficiaires et le choix de l’emplacement des tentes. Cette action a été reproduite dans d’autres zones, comme la Bekaa et l’Akkar, où certains réfugiés rencontraient également des problèmes d’abri. Dans le cadre d’une gestion à distance, les ONG locales se sentent plus responsables de la qualité de la distribution, de l’importance d’éviter les erreurs et d’être à la hauteur des attentes du bailleur. Bien que l’équipe de réponse Shelterbox ait effectué de brèves visites au Liban pour former, suivre et appuyer le réseau local de bénévoles, LRC – LebRelief devait conserver la confiance reçue de Shelterbox et s’assurer que cette aide généreuse était distribuée de la bonne manière aux « bons » bénéficiaires. En comparant ce programme avec ceux en cours de mise en œuvre à Tripoli et dans d’autres zones où les bailleurs sont en mesure d’effectuer des visites, on constate que la présence de ces derniers facilite considérablement le flux de la mise en œuvre et la capacité à modifier les livrables en s’appuyant sur les besoins émergents du terrain. De manière générale, la présence du bailleur sur le terrain permet donc une meilleure compréhension mutuelle du contexte et, par conséquent, un meilleur impact général.

 

Conclusion

Pour garantir une meilleure efficacité durant les processus de gestion à distance, les bailleurs et les organisations internationales doivent s’assurer qu’un certain nombre d’éléments clés sont en place. Premièrement, la confiance est cruciale pour maintenir des relations positives et fructueuses avec les partenaires locaux. Deuxièmement, lorsque cela est possible, les bailleurs et les organisations internationales doivent planifier des visites de terrain car celles-ci donnent de la crédibilité à l’ONG locale et renforcent la relation de partenariat. Troisièmement, quand – et où – cela est possible, les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour partager des informations et suivre les avancées des projets. Enfin, les bailleurs doivent exploiter différentes sources comme les autres organisations qu’elles financent ou les partenaires locaux afin de garantir une approche de suivi holistique. Cela fournirait aux bailleurs différentes perspectives concernant la mise en œuvre du projet.

La gestion à distance a rendu possible des interventions dans des contextes de conflit intense, permettant de soutenir des organisations, des individus, et des communautés même lorsque la situation sécuritaire n’est pas permissive. Bien qu’à ce jour, aucun problème majeur sur le plan programmatique ou opérationnel n’ait été constaté et attribué à la gestion à distance, de nombreuses ONG locales préfèrent ne pas la pratiquer ou en faire partie. La pression générée par un reporting permanent et le fait de s’assurer que les choses fonctionnent bien explique que la gestion à distance n’est pas leur mode opératoire favori.

 

Rayan El Fawal, est experte en ingénierie mécanique. Elle travaille comme coordinatrice de projet pour l’ONG Lebanese Relief Council.

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