Auteur(s)

Damien Badoil & Aline Robert

Afin de mieux faire face aux besoins humanitaires croissants et aux enjeux liés à l’augmentation de ses activités, Humanité et Inclusion (HI) s’appuie désormais sur les outils et les méthodes du Lean management4 pour simplifier ses processus. En accompagnant les équipes et les managers vers une culture d’amélioration continue, HI se fixe comme objectifs de veiller au bien-être de ses équipes au travail et d’optimiser l’utilisation de ses ressources financières tout en répondant à l’ambition d’augmenter sa présence et son impact auprès des populations vulnérables.

 

Le choix du « Lean management »

La problématique

Humanité et Inclusion (ex-Handicap International) est une organisation non gouvernementale qui intervient en faveur des personnes handicapées et des populations vulnérables dans plus de soixante pays. Aujourd’hui, les besoins des populations les plus fragiles sur les terrains d’interventions de HI augmentent de manière vertigineuse. C’est donc avec le souci de répondre mieux et davantage à cette situation que l’organisation a dessiné sa stratégie 2016-2025.

L’un des défis auxquels HI est confronté est de faire plus avec des moyens qu’il est de plus en plus difficile de développer, tout en restant fidèle à ses valeurs et principes, et en se conformant aux exigences des donateurs privés et des bailleurs de fonds. Dès lors, comment dégager des marges de manœuvre ? En simplifiant ses modes de fonctionnement. Un défi considérable dans une organisation de plus de 35 ans, devenue un réseau fédéral de 8 associations nationales qui intervient dans plus de 60 pays et où les procédures rassurent, mais cloisonnent et alourdissent le travail quotidien.

Réponse apportée et activités menées

Début 2016, dans le cadre de la mise en œuvre de sa stratégie, HI a choisi de recourir au Lean Management comme levier d’optimisation de ses processus et outils d’évolution de sa culture managériale. Un Pôle Simplification (Lean Unit) a été créé pour porter cette démarche : il est constitué de deux personnes en mobilité interne, connaissant bien l’organisation et formées par « ECAM-expert »5 à Lyon. Leur première mission – durant laquelle elles étaient accompagnées de consultants pro bono – a consisté à formaliser une méthodologie, inspirée du Lean management, mais adaptée au contexte et aux enjeux de HI.

Cette méthodologie se traduit par des actions de simplification, organisées en mode projet, et appelées « vagues de simplification ». Chaque vague est dédiée à une problématique spécifique priorisée par le Directoire (organe le plus élevé de l’exécutif de HI). Vague après vague, l’objectif est de couvrir l’ensemble des Services de l’organisation pour optimiser les processus les plus complexes et généralement les plus transverses. Les équipes et les managers impliqués à chaque vague sont initiés à cette démarche et invités à la reproduire pour enclencher une dynamique d’amélioration continue.

Ces vagues se déroulent sur des périodes de 8 à 12 mois. Ce temps joue en faveur de l’appropriation de la démarche et d’un ancrage pérenne des améliorations générées. Chaque vague est pilotée et coordonnée par des Comités de Pilotage et Comités de Suivi spécifiques. Toutes démarrent, après une phase de cadrage, par un diagnostic nourri des entretiens de représentants de tous les acteurs impliqués (siège / terrain, managers / collaborateurs, services support / « clients » internes). Les constats issus de ces entretiens sont partagés et priorisés avec l’ensemble des contributeurs pour aboutir à un plan d’action précis des problématiques à traiter. Chaque thème est ensuite traité en sous-groupe pour aboutir à une proposition d’amélioration : formalisation d’un processus cible, nouvel outil ou nouvelle règle de fonctionnement. S’ouvre ensuite une phase de test pendant laquelle le processus cible et les outils associés sont expérimentés sur un périmètre restreint afin de s’assurer de la pertinence des optimisations apportées ou d’apporter les ajustements nécessaires. Des indicateurs clefs de performance (Key Performance Indicators – KPI) sont identifiés pour mesurer les gains obtenus. Après validation des tests, les services en charge des processus optimisés réalisent leur déploiement à l’échelle de l’ensemble de l’organisation. C’est la phase de généralisation.

Cette méthodologie est complétée par un accompagnement spécifique et individuel auprès des managers impliqués dans la vague afin de leur permettre d’ancrer l’amélioration continue dans leurs pratiques managériales. C’est la phase d’ancrage. Il s’agit notamment d’optimiser leur temps de réunions d’équipe, de mettre en place un management visuel, de faire remonter et traiter les causes racines des problèmes rencontrés, et enfin de piloter la performance de leurs équipes et des processus dont ils sont responsables.

Parallèlement aux vagues de simplification, des séances de résolution de problème (Kaizen en langage Lean) sont organisées de façon plus ponctuelle afin de régler en profondeur les problèmes rencontrés dans l’activité quotidienne des équipes tout en formant les participants à cette méthodologie.

 

Les résultats

Les produits

À travers les vagues de simplification, plusieurs processus majeurs de l’organisation ont pu être formalisés et optimisés : l’arbitrage des réponses aux opportunités bailleurs et la rédaction de proposition de projets, le recrutement et la gestion de carrière des expatriés, la clôture comptable et financière… À chaque fois, l’optimisation de ces processus s’est faite en lien avec l’identification d’indicateurs clés de performance. Ces indicateurs, suivis régulièrement, permettent de mesurer de façon objective et quantifiée la performance des acteurs impliqués dans ces processus, ce qui rend possible la correction des écarts de façon appropriée (actions de sensibilisation, de formation, ajustement du standard, etc.).

« Les KPI (indicateur clé de performance) et les objectifs d’amélioration que l’on se donne en équipe, ainsi que le management visuel6 et les ateliers de résolution de problème, permettent d’entretenir la démarche d’amélioration continue » (Témoignage de la Directrice des RH).

Au-delà des optimisations apportées, les vagues de simplification ont permis un décloisonnement des équipes fonctionnant trop souvent en silos (entre collaborateurs d’un même métier, équipe urgence versus équipe développement, équipe siège versus équipe terrain). L’approche par les processus a permis de partager les enjeux, de verbaliser les problèmes et d’enrichir les réflexions de regards croisés pour identifier des solutions plus pertinentes et aboutir le plus souvent à un processus harmonisé, quand auparavant il était fréquent d’avoir des façons de faire variables selon les interlocuteurs. Ce processus harmonisé est généralement issu des meilleures pratiques identifiées lors des échanges.

Concernant les pratiques managériales déployées par le Pôle Simplification, les managers apprécient d’être accompagnés individuellement dans la mise en place d’outils concrets qui leur permettent de lancer une dynamique nouvelle et de réfléchir à l’efficience de leur équipe. C’est une opportunité pour eux de développer leurs compétences de manager, compétences souvent acquises de manière empirique jusque-là. Ils ont également la possibilité d’échanger entre managers dans des espaces de retours d’expérience, ce qui enrichit la démarche d’apprentissage et la diffusion des meilleures pratiques.

Les facteurs de réussite

Ces résultats n’auraient sans doute pas été atteints si la mise en place du Lean management n’avait pas été portée et promue par la Direction Générale (DG). La présence du DG et des membres concernés du Directoire lors des réunions de lancement des vagues, dans les Comités de pilotage, et lors des réunions de clôture avec l’ensemble des équipes, constitue en effet un signe fort d’engagement, ainsi qu’une source de motivation pour les équipes et les managers pour relever le défi des optimisations attendues.

Un tel changement de paradigme nécessite également un investissement en termes de RH, avec des experts-maison « champion » du Lean, formés, initiant la dynamique dans les équipes et les accompagnant dans la durée. Ces experts doivent avoir du recul par rapport à l’organisation et au Lean afin d’être en capacité d’adapter les « recettes » du Lean à l’organisation. Par ailleurs, le Lean management promeut une démarche « bottom-up » dans la recherche des optimisations et la résolution de problème. Les « opérateurs » (personnes directement impliquées dans la réalisation) sont les mieux placés pour identifier les problèmes et proposer des améliorations. Pouvant contribuer concrètement au diagnostic, au plan d’action et au test de la solution proposée, chacun se sent impliqué et responsabilisé, ce qui optimise les chances de succès.

« Les vagues de simplification permettent de participer à des dynamiques de réflexions de groupe très structurées selon une méthodologie précise, impulsant l’appropriation individuelle progressive des éléments abordés. » (Témoignage d’une Directrice Technique)

En termes de charge de travail, l’implication des équipes dans une « vague Lean » est significative. L’anticipation de cette charge est primordiale pour s’assurer de la disponibilité des collaborateurs impliqués. Un planning prévisionnel du temps à consacrer à une vague de simplification est un bon moyen pour donner de la visibilité et permettre à chacun de s’organiser.

En termes de méthode, la phase d’expérimentation (ou phase de test) joue un rôle capital. Face aux réticences qui peuvent s’exprimer lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre un processus optimisé avec moins de contrôle par exemple, souvent perçu comme une prise de risque quant à la qualité du résultat, proposer de faire un test sur un périmètre réduit permet d’obtenir l’adhésion des parties prenantes. Si le test est positif, les réticences sont levées et la généralisation peut être aisément envisagée. Si le test est négatif, on réajuste et on lance de nouveaux tests jusqu’à la généralisation.

« Le fait d’expérimenter des solutions sur des périmètres restreints permet de s’autoriser à réfléchir « out of the box » en testant des choses très novatrices que l’on n’aurait pas oser mettre en œuvre directement à grande échelle. » (Témoignage de la Directrice des RH)

À l’issue de chaque vague de simplification, une attention particulière est portée à l’estimation des gains obtenus (nombre d’heures / jours économisés, durées réduites, « erreurs » réduites). L’affichage de ces gains permet de conforter la méthodologie. Il est également source de motivation pour les équipes impliquées dans les vagues de simplification, qui peuvent alors se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.

Concernant les pratiques managériales, le principal facteur de succès est l’exemplarité. Chaque niveau de management, à commencer par celui des Directeurs, doit être un modèle de bonnes pratiques dans la mise en œuvre du Lean management afin que ces pratiques puissent être réappropriées à chaque niveau hiérarchique, se déployer et perdurer.

Problèmes rencontrés

La première difficulté a été rencontrée dès la phase de cadrage d’une vague. Pas suffisamment cadrée, la première vague de simplification a vu les efforts se diluer sur un périmètre trop large, impliquant trop de personnes et trop de services différents. Les sujets retenus dans le plan d’action étaient trop éloignés les uns des autres, éparpillant la dynamique de transformation. Le cadre de travail de la vague suivante était plus concentré, mais l’ampleur des sujets traités a obligé à fournir un travail plus important qu’initialement programmé et, par conséquent, à prolonger la durée du projet et l’implication des acteurs. D’une part, la motivation des équipes est difficile à maintenir et, d’autre part, on s’éloigne de l’un des principes du Lean management qui est de progresser par petits pas en intégrant une culture de l’amélioration continue.

Dans un autre registre, il est difficile pour les managers de prendre la mesure, en début de vague, de l’ampleur des changements à mettre en œuvre à l’issue de la vague (généralisation des améliorations et changements de pratiques managériales), alors que l’accompagnement du pôle Lean s’arrête. Malgré le cadrage initial, on ne connaît pas par avance les éléments qui seront impactés par les améliorations souhaitées (faudra-t-il former les personnes ? Revoir certains formulaires ? Adapter des outils informatiques ? Travailler sur des processus complémentaires ?…). Dans certains cas, les impacts sont importants et la généralisation peut être difficile à organiser et piloter.

« Au-delà du top-management, le manager impliqué dans une vague Lean doit non seulement s’approprier la démarche mais doit aussi être fortement motivé du fait de l’implication très importante que cette démarche exige. Il doit également accepter un certain lâcher prise, les propositions et les solutions émergeant des équipes » (Témoignage de la Directrice des RH)

Parce que certaines équipes se trouvent dans des pays où les infrastructures ne sont pas toujours très développées, la participation des équipes à distance lors des ateliers de travail est parfois difficile et doit être anticipée pour profiter pleinement de leur contribution. Selon les thématiques traitées, des missions sur quelques terrains sélectionnés ont permis d’enrichir les diagnostics et d’impliquer plus de personnel terrain mais ces missions ont un coût et restent donc limitées.

En termes d’organisation, il est important de disposer d’une organisation relativement stable, tant au niveau des fonctions opérationnelles que des fonctions de management. Changer le casting des personnes impliquées en cours de projet casse la dynamique et ralentit le déroulé de la vague. À un niveau plus global, des équipes confrontées à des changements organisationnels sont trop préoccupées par le déploiement de la nouvelle organisation pour pouvoir se projeter sur des améliorations de processus.

Enfin, de nombreux processus n’étant ni harmonisés ni formalisés, le travail initial de formalisation peut s’avérer fastidieux pour des personnes qui ne sont pas familières de cette pratique. Dessiner un processus peut donner l’impression à certains de complexifier les choses plutôt que de les simplifier. Il est donc important de réaliser cette étape le plus rapidement possible pour enclencher ensuite la recherche des optimisations, plus motivante pour les personnes impliquées.

 

Conclusion et perspectives

Fort d’une expérience de près de trois ans, les leçons apprises vont guider la démarche du Pôle Simplification dans les années à venir, cela dans une optique visant à toujours plus d’adaptation du Lean management à la spécificité des ONG. Il nous paraît également indispensable de désormais déployer le Lean management à l’échelle de toute une Direction. Ces pratiques managériales ne peuvent en effet perdurer que si elles font partie d’un système de management commun à l’ensemble des managers, quel que soit leur niveau hiérarchique.

L’implication des équipes et l’accompagnement des managers en charge de nos activités sur le terrain constitue un enjeu majeur auquel il faudra répondre dans les mois qui viennent. Une partie de la réponse se trouve sans doute dans les outils mis en œuvre par leur manager au siège, outils auxquels ils seront exposés et dont ils pourront s’inspirer. D’autres actions sont également à prévoir pour renforcer leur appropriation et systématiser le déploiement.

Concernant la simplification des processus, si l’approche « vague » reste pertinente pour traiter des problématiques complexes nécessitant un engagement important, les processus plus simples doivent être abordés avec un dispositif léger, sur des durées plus courtes. Cette modalité sera testée en 2019.

Enfin, un travail de cartographie de l’ensemble des processus de l’organisation a été lancé et se déroulera sur une partie de l’année 2019. Cette cartographie permettra de clarifier les responsables porteurs de chaque grand processus de l’organisation et d’avoir une vision globale pour prioriser les processus à formaliser et, si besoin, optimiser.

 

Après plusieurs années passées sur le terrain en tant qu’expatriés, Aline Robert et Damien Badoil ont ensuite occupé différentes fonctions au siège d’HI, d’abord sur des postes opérationnels, puis sur des fonctions de management et de directeurs, ce qui leur donne une connaissance fine de l’organisation. Aline a également une expérience de 10 années comme consultante en management et gestion de projet. Début 2016, ils suivent une formation pour connaître les principes et les outils de l’Excellence Opérationnelle (Lean) et créent le Pôle Simplification avec l’appui de 2 consultants.

  1. Le Lean Management (appelé aussi Excellence Opérationnelle) repose sur les piliers que sont la valeur ajoutée pour le client, la suppression des gaspillages, le travail collaboratif (interne et/ou externe) et la montée en compétence des acteurs par la résolution de problème. Son succès dans le déploiement repose sur l’action simultanée sur le système opérationnel, le système managérial et la culture de l’organisation (définition proposée par ECAM-expert).
  2. http://www.ecam-expert.fr/
  3. Le management visuel utilise des éléments visuels pour rendre l’information disponible à ceux qui en ont besoin au sein de l’espace de travail.
  4. Le Lean Management (appelé aussi Excellence Opérationnelle) repose sur les piliers que sont la valeur ajoutée pour le client, la suppression des gaspillages, le travail collaboratif (interne et/ou externe) et la montée en compétence des acteurs par la résolution de problème. Son succès dans le déploiement repose sur l’action simultanée sur le système opérationnel, le système managérial et la culture de l’organisation (définition proposée par ECAM-expert).
  5. http://www.ecam-expert.fr/
  6. Le management visuel utilise des éléments visuels pour rendre l’information disponible à ceux qui en ont besoin au sein de l’espace de travail.

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