Auteur(s)

Catherine-Lune Grayson (CICR)

Vous venez de co-piloter le processus qui a abouti à la « Charte sur le climat et l’environnement pour les organisations humanitaires ». Pour commencer, pouvez-vous revenir sur la prise en compte des questions environnementales et climatiques au sein du CICR ?

Il y a seulement quelques années, au-delà de la protection de l’environnement naturel par le droit humanitaire international, il était encore difficile de parler de ces questions au CICR. Pourtant, des pratiques s’étaient souvent développées sur le terrain, notamment dans nos activités qui portent sur l’eau ou qui soutiennent les activités agricoles. Ces pratiques intégraient des risques climatiques et environnementaux bien avant que l’on admette que cela devrait faire partie des considérations à prendre en compte de façon systématique dans le développement d’une réponse.

La discussion sur les questions climatiques et environnementales s’est accentuée il y a deux à trois ans lorsque ce sujet a été inscrit dans la stratégie institutionnelle. Au début, on entendait souvent : « Mais c’est complètement en dehors du mandat du CICR ! ». Je pense que l’un des éléments qui nous a permis de renverser cette perception, c’est l’expérience de nos collègues qui travaillent avec des populations victimes de conflits armés et voient à quel point leur quotidien est affecté par les risques climatiques et environnementaux. Puis nous avons mené un travail de recherche qui a confirmé que ces risques-là sont au cœur des difficultés rencontrées par les populations1. On peut donc dire que les considérations climatiques et environnementales ne forment pas le cadre de notre réponse, mais qu’en pratique, si l’on ne les intègre pas, on ne peut pas répondre adéquatement aux besoins des populations. Il y a donc eu une évolution claire. Aujourd’hui, plus personne ne questionne vraiment la pertinence de cette question par rapport à nos activités.

Est-ce que le vaste processus en amont de cette Charte s’est avéré difficile ?

Je dirais que ça a été un plaisir parce que le niveau d’intérêt et d’enthousiasme était extrêmement réjouissant. Si on avait lancé la même discussion il y a cinq ans, cela aurait été beaucoup plus difficile. On en est à un moment où il est clairement admis que les organisations humanitaires ont un rôle à jouer quand il s’agit de répondre à la crise climatique et environnementale, à la fois en adaptant leurs programmes mais aussi en limitant leur propre impact environnemental. Donc ce processus a fait l’objet d’énormément de travail, mais c’était aussi le projet qui me donnait le plus d’énergie à une époque où le virtuel rendait tout un peu pesant.

Quelle est l’idée à l’origine de la Charte ?

La Charte est née de la reconnaissance du rôle que les organisations humanitaires doivent jouer quant à la crise climatique et environnementale, à la fois pour aider les populations à s’adapter à l’évolution du climat et de l’environnement, et pour améliorer la durabilité environnementale des actions humanitaires. C’est aussi une idée qui est née de la reconnaissance qu’il fallait une réponse collective. Cela s’inscrit dans la même logique que ce qu’a fait le Réseau Environnement Humanitaire (REH) avec la Déclaration d’engagement et Médecins sans frontières avec son Pacte environnemental2. Nous avons aussi été inspirés par le processus qui a mené au développement du Code de conduite de 1994 parce que c’est un processus qui consistait à rallier le monde humanitaire autour de grands principes communs. C’était ce que l’on souhaitait : développer quelques grands principes qui soient clairs et simples pour orienter l’action humanitaire à tous les niveaux. On voulait un langage qui parle à la fois à de toutes petites organisations locales et à de plus grandes organisations comme les ONG internationales, mais aussi au mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et à des agences onusiennes.

Comment s’est déroulé le processus qui a donné naissance à la Charte ?

Pour développer le contenu de la Charte, on a d’abord formé un comité aviseur. Le « on » que j’utilise ici est formé au départ du CICR et de la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR). Ce comité était composé de dix-neuf personnes qui représentaient un certain nombre d’organisations humanitaires et d’experts climatiques et environnementaux. La discussion a commencé à ce niveau-là pour que nous nous entendions sur les grands éléments qui devraient se retrouver dans la Charte. Une fois que l’on a disposé d’une ébauche qui nous semblait satisfaisante pour lancer la discussion, on a organisé de décembre 2020 à mars 2021 des consultations locales, régionales et globales auprès d’organisations humanitaires. L’idée était d’écouter la perspective d’organisations très différentes en matière de taille, de capacités et de mandat pour intégrer leurs perspectives dans la Charte. La participation a été remarquable. Au total, nous avons reçu des contributions d’un peu plus de 150 organisations, ce qui a été extrêmement utile. On a d’ailleurs rendu disponible un document qui résume toutes les contributions recueillies avec les amendements faits au texte à la lumière de ces commentaires.

Il est possible de signer la Charte depuis le 21 mai dernier et nous avons déjà enregistré près de cent-cinquante signatures, dont le Groupe URD. Plusieurs organisations locales, de grosses ONG internationales comme Islamic Relief, CONCERN, le Conseil norvégien pour les réfugiés, IRC, CARE ou ACTED et de nombreuses Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont signé. Un certain nombre d’organisations ont aussi déjà adopté des cibles pour mesurer leur mise en œuvre de la Charte. Nous sommes ravis de voir le secteur se rassembler autour de la Charte.

À ce sujet, je tiens à préciser que la Charte et le site Internet ne portent aucun emblème de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en dehors de l’endroit où nous sommes mentionnés comme signataires. On envisage la Charte comme un service rendu à la communauté humanitaire. Elle ne nous appartient pas, elle appartient à la communauté humanitaire. D’où aussi l’idée de mener le processus avec un comité aviseur. Pour nous, certes, c’est important de dire que l’on a un rôle important à jouer comme Mouvement quand il s’agit de mobiliser le secteur humanitaire, mais on ne voulait pas que ce soit un produit estampillé Croix-Rouge. On voulait que ce soit une action portée par l’ensemble de la communauté humanitaire. Et c’est aussi pour cela que le processus de consultation a été très important.

Comment résumer brièvement le contenu de la Charte ?

La Charte est composée de sept engagements dont deux qui constituent en quelque sorte sa colonne vertébrale. Et il existe une hiérarchie entre les deux premiers engagements. Le tout premier porte sur l’adaptation de notre action pour aider les populations à s’adapter à la transformation de leur climat et de leur environnement. Le second porte sur la maximisation de la durabilité environnementale de nos opérations. Ensuite, il y a quatre engagements qui portent sur nos façons de travailler pour atteindre nos objectifs. Ils se concentrent sur le fait de travailler de façon étroite avec les communautés locales et de reconnaître leur leadership, sur la nécessité d’accroître nos propres capacités et connaissances ainsi que de collaborer au sein de la communauté humanitaire – et par-delà, notamment avec les communautés d’experts climatiques et les communautés du développement. Finalement, ils parlent de la nécessité d’utiliser notre influence pour mobiliser une action climatique beaucoup plus conséquente. Le tout dernier engagement porte sur la définition de cibles qui mesurent notre mise en œuvre de la Charte.

Nous avons eu plusieurs discussions, notamment une dans le cadre du Réseau Environnement Humanitaire sur la question « Faut-il ou non des cibles chiffrées à l’intérieur de la Charte ? ». On a finalement opté pour ne pas mettre de cible numérique parce qu’il fallait tenir compte du fait que l’on voulait rallier différentes organisations, petites et grandes. Même un objectif comme celui de « réduire les émissions de gaz à effet de serre à un niveau prédéterminé » allait être très difficile à adopter pour certaines organisations. Cette décision est issue des commentaires que l’on a reçus durant le processus de consultation.

J’ouvre ici une parenthèse sur le fait qu’il y a quand même une attente d’engagements ambitieux de la part des organisations. Par exemple, lorsque le CICR a adopté la Charte, on a commencé par adopter trois cibles qui sont presque symboliques et qui vont être complétées par d’autres cibles qui, dans certains cas, seront intermédiaires. La première de ces trois cibles est un engagement à prendre en compte les risques climatiques et environnementaux à l’ensemble de nos programmes d’ici 2025. La deuxième est un engagement à réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici 2030 par rapport à 2018 et la troisième porte sur la diffusion des règles du droit international humanitaire qui protège l’environnement. Donc on est dans la traduction concrète de certains engagements qui se retrouvent dans la Charte.

Quelles sont les prochaines étapes relatives à la Charte ?

Nous avons développé un premier document qui traduit de façon un peu plus concrète les engagements inclus dans la Charte et fournit une liste de ressources utiles à sa mise en œuvre, ainsi que des réflexions sur des cibles acceptables par rapport aux engagements pris dans la Charte. Nous sommes maintenant en discussion avec quelques organisations pour aller un peu plus loin et développer des standards de mise en œuvre.

On a également eu une réunion du comité aviseur où les membres se sont portés volontaires pour continuer à travailler avec nous. Ça fait notre bonheur parce qu’on est en train d’examiner le soutien nécessaire à la mise en œuvre de la Charte et aussi, ce que cela signifie en matière de liens avec d’autres groupes comme le REH ou de formation de communautés de pratiques supplémentaires. La perspective du comité aviseur nous sera très utile.

Au niveau de la diffusion, juste avant la COP 26, on publiera avec tous les signataires de la Charte une déclaration soulignant notre engagement à prendre ces questions en considération et à faire davantage pour adapter les programmes aux risques climatiques et à la dégradation environnementale.

Quels liens faites-vous entre la Charte et la Déclaration d’engagement du REH ?

La genèse de ces documents est semblable : tous deux découlent de la reconnaissance que l’urgence climatique et environnementale a des conséquences humanitaires graves et que les organisations humanitaires ou de solidarité doivent adapter leur action en conséquence. Ces documents parlent aussi de l’importance de galvaniser une action collective pour faire face à la crise. Dans les deux cas, ces engagements portent à la fois sur l’intégration des risques climatiques et environnementaux dans les programmes humanitaires et sur la réduction de notre empreinte environnementale et climatique. Je pense que ce sont des documents mus par une logique très semblable et qui sont de nature complémentaire.

Deux éléments clés les distinguent toutefois. D’une part, la Déclaration d’engagement du REH inclut une cible de réduction des gaz à effet de serre, contrairement à la Charte qui laisse les signataires déterminer quel sera leur niveau d’ambition, en fonction de leurs capacités. Ensuite, la Charte est ouverte à l’ensemble des organisations humanitaires, pas seulement aux internationales ou aux membres d’un réseau donné. Ceci veut dire que de petites ONG locales d’un peu partout à travers le monde ont aussi signé la Charte et s’engagent à suivre ses principes.

Selon vous, est-il plus difficile pour certaines ONG que pour d’autres de respecter leurs engagements ? (problématiques de taille, de mandat, de structuration administrative, de solidité financière…)

La Charte propose aux organisations de définir elles-mêmes leurs cibles dans l’année qui suit leur signature, précisément pour que chacune soit en mesure d’adopter des objectifs qui correspondent à ses capacités. Ces cibles peuvent représenter un objectif à long terme, mais elles peuvent aussi être des étapes intermédiaires qui permettront de définir une cible à plus long terme. Par exemple, une organisation peut d’abord se fixer un objectif qui consiste à déterminer quelles sont ses émissions de gaz à effet de serre pour, dans un second temps, se fixer un objectif de réduction numérique. Ou encore, on peut choisir de former une proportion donnée de son personnel, avant d’adopter un objectif d’intégration des risques climatiques et environnementaux dans les programmes.

Cela dit, la taille d’une organisation et les ressources dont celle-ci dispose va influencer sa capacité à respecter des engagements ambitieux. C’est la raison pour laquelle la Charte insiste sur la nécessité de collaborer entre nous, car nous reconnaissons que sans soutien pour développer des outils ou des formations, la mise en œuvre de la Charte risque d’être plus difficile pour de petites organisations. Ensuite, l’un des éléments soulignés de façon récurrente durant les consultations était l’importance du soutien des donateurs pour la mise en œuvre de la Charte. C’est la raison pour laquelle une référence explicite à ceci fait partie du dernier engagement qui porte sur le développement de cibles. Enfin, tout n’est pas financier : la Charte implique en quelque sorte un changement de mentalité qui se traduit par une adaptation de nos façons de travailler. Ceci n’a pas toujours d’implications financières.

Pour plus d’informations sur la Charte Climat et Environnement :

  1. Pour plus d’informations : https://shop.icrc.org/when-rain-turns-to-dust-pdf-en
  2. Pour plus d’informations : https://www.medecinssansfrontieres.ca/article/urgence-climatique-le-seul-choix-cest-dagir