Auteur(s)

Laura Mosberg

Replacer les populations au cœur des actions menées par une organisation est aujourd’hui une priorité dans le secteur de l’aide et au sein de toutes les organisations telles que Humanité & Inclusion (HI). « La révolution de la participation » décrite dans le Grand Bargain1 (2016) promettait de mieux intégrer les personnes récipiendaires de l’aide dans les décisions qui affectaient leur vie. La Norme humanitaire fondamentale2 (ou Core Humanitarian Standard, CHS), quant à elle, décrit que « les communautés et populations affectées par les crises connaissent leurs droits, ont accès à l’information et participent aux décisions qui les affectent », (Engagement 4) mais doivent aussi « avoir accès à des mécanismes sûrs et réactifs pour gérer les plaintes éventuelles » (Engagement 5).

Ces engagements et normes internationales se sont traduits en 2015 chez Humanité & Inclusion par une Politique Planification, Suivi et Évaluation, revue en 2022 (avec l’appui du Groupe URD), qui définit le cadre de mise en œuvre de tous nos projets. Cette politique intègre comme principe fondamental la redevabilité, soit la capacité de rendre compte de manière transparente à toutes les parties prenantes qui ont un intérêt direct ou indirect dans nos actions. Elle intègre également un référentiel qualité qui définit des critères à respecter afin d’assurer la qualité au niveau de nos projets. Parmi ces critères, on retrouve le critère qualité « Redevabilité populations » qui est centré sur la redevabilité envers les communautés et populations de nos zones d’intervention, et se décline à travers des actions clés liées aux différents mécanismes de redevabilité : le partage de l’information, la mise en place de systèmes d’expression et le déploiement d’approches participatives.

Dans un but de renforcement de la qualité de ses interventions, Humanité & Inclusion s’attelle donc à assurer la mise en place de ces mécanismes de redevabilité sur ses programmes d’intervention. Pour cela, l’organisation recourt à des documents d’orientation standardisés suffisamment flexibles pour permettre l’adaptation contextuelle et culturelle de ces mécanismes. Chacun des mécanismes de redevabilité repris dans le référentiel qualité sont ainsi cadrés par des guides et leur déploiement a été et sera accompagné lors de différentes phases. Le premier mécanisme de redevabilité déployé fut la mise en place de stratégies de partage d’information, qui assurent la définition des méthodes de communication, la fréquence d’utilisation de celles-ci ainsi que les messages clés par phase du cycle de projet. Des systèmes de gestion des retours et plaintes furent ensuite déployés pour la remontée des réclamations, les demandes d’informations, les demandes d’assistance et plaintes éventuelles de la part des populations vers HI, ainsi que le processus de traitement, de réponse et d’apprentissage sur ces mêmes cas. Le suivi de ces mécanismes de redevabilité sur tous nos programmes d’intervention fut un chantier clé de cette dernière année, réalisé à travers l’accompagnement rapproché des programmes durant la phase d’initiation de la conception de leurs mécanismes. Un autre élément important fut l’évaluation de l’efficacité des mécanismes déjà en place depuis plusieurs années. Enfin, le déploiement des approches participatives sera l’une des priorités de l’organisation dans les prochains mois.

Avoir des mécanismes de redevabilité va au-delà de la simple mise en place d’une ligne verte téléphonique et/ou de boîtes à suggestions pour recevoir les retours et plaintes, ou encore de l’affichage d’un poster pour partager l’information sur l’existence et le travail de l’organisation. Le déploiement de mécanismes de redevabilité demande des procédures complètes, de l’étape de la conception à la stratégie de sortie, avec des canaux d’expression et de communication qui conviennent à tous les groupes de population actifs dans nos projets. S’est donc vite posée la question de comment rendre ces mécanismes de redevabilité inclusifs et accessibles, c’est-à-dire permettant une pleine implication des filles, garçons, femmes et hommes de groupes d’âges différents (enfants et personnes âgées) – dont les personnes en situation de handicap – et ce afin de permettre à tout un chacun de participer pleinement aux mécanismes de redevabilité proposés par l’organisation. Suite à une collecte des bonnes pratiques déjà en place au sein de nos programmes, et à un travail de réflexion rassemblant plusieurs membres du personnel de HI (siège et programmes) avec différentes technicités, nous avons défini quatre principes clés à prendre en compte pour assurer cet accès et cette inclusion aux mécanismes de redevabilité mis en place par l’organisation.

Connaître. L’accès et l’inclusion passent par une connaissance fine des barrières (physiques, informatives, attitudinales et institutionnelles) auxquelles font face les populations qui participent à nos projets, mais aussi des risques afférents, des capacités spécifiques de ces populations et des dynamiques de pouvoir présentes dans nos zones d’intervention. Cette connaissance doit être évolutive au cours du déploiement du cycle de projet, et non se limiter à la phase d’évaluation des besoins. Ces éléments doivent être approfondis avec la connaissance des caractéristiques des profils des populations concernées, à travers la collecte de données désagrégées (par âge, par genre, et par handicap – notamment grâce à la série de questions du Washington Group3) dans tous les exercices pertinents.

Impliquer. Que ce soit à un niveau individuel ou collectif (à travers les organisations représentantes des différents groupes de populations avec lesquels nous travaillons – organisations de personnes en situation de handicap, groupements de femmes, organisations de jeunes, groupements ethniques, etc.), l’implication doit être transversale dans tous les processus de décisions. Cela vaut aussi bien pour la conception des mécanismes de redevabilité (Quelles méthodes de communication adopter ? Quels canaux de remontée des retours et plaintes mettre en place dans un contexte donné ?), que pour la phase de mise en œuvre (L’information partagée est-elle intelligible ? Les réponses données aux cas reçus sont-elles qualitatives ?) et la phase de clôture/stratégie de sortie (Comment communiquer au mieux sur les résultats du projet et sur la suite ? À qui s’adresser en cas de réclamations futures ?).

Adapter. Grâce à la connaissance et à l’implication mentionnées précédemment, les équipes doivent être en mesure d’adapter leurs mécanismes de redevabilité à travers des aménagements raisonnables qui renforcent l’accessibilité et l’inclusion. Selon le document d’orientation du IASC sur l’intégration des personnes en situation de handicap, ces aménagements raisonnables sont définis comme « les modifications ou adaptations des procédures ou des services, lorsque cela s’avère nécessaire et approprié, afin d’éviter que des charges disproportionnées ou indues soient imposées aux personnes handicapées pour leur assurer, sur base de l’égalité avec les autres, l’exercice de leurs droits de l’homme et libertés fondamentales »4. Ils peuvent prendre la forme de traduction de matériel de communication en braille ou en format facile à lire et à comprendre (FALC), ou signifier la présence d’un interprète en langue des signes lors d’échanges en présentiel. Des aménagements raisonnables peuvent aussi être déployés pour la prise en compte du genre et de l’âge des personnes, par exemple pour la mixité hommes-femmes du personnel réceptionnant les retours et plaintes, ou encore pour la vulgarisation des explications sur les mécanismes de redevabilité à destination des enfants. Ces aménagements raisonnables ne sont cependant réalisables que si des ressources, financières et humaines, sont disponibles pour les déployer.

Apprendre. Enfin, l’accessibilité et l’inclusion des mécanismes de redevabilité passent par une amélioration continue fondée sur des activités de suivi et d’évaluation fréquentes qui permettent de contrôler régulièrement ces aspects d’accessibilité et d’inclusion. Pour ce point, nous avons décidé de mobiliser nos ressources techniques (référents aide humanitaire inclusive siège et programmes) afin de former à ce genre de suivi non seulement les équipes de HI, mais aussi celles de nos partenaires de mise en œuvre.

Ces partenaires sont selon nous des acteurs clés du déploiement et du fonctionnement des mécanismes de redevabilité envers les populations. Parce que nous nous sommes initialement fortement concentrés sur le rôle des équipes de HI et les engagements de l’organisation en la matière, nous avons souhaité réaliser un travail complémentaire de revue de nos pratiques internes pour mieux comprendre comment nos partenaires locaux étaient impliqués dans la conception et la mise en place de mécanismes de redevabilité envers les populations, quels rôles ils souhaitaient jouer, quelles étaient leurs pratiques internes en la matière et quel type de support ils souhaitaient recevoir de HI sur le sujet.

Vingt-six de nos partenaires locaux (organisations de personnes en situation de handicap, organisations de la société civile et services étatiques) ont répondu à nos questions dans trois de nos pays d’intervention (Haïti, Burkina Faso et Népal). Cette étude nous a montré l’importance de la co-construction des mécanismes de redevabilité avec nos partenaires locaux, trop faible aujourd’hui de par le manque de documents d’orientation et de clarification autour des rôles et responsabilités de chaque entité. Les premiers constats de cette étude montrent que ces acteurs nous apportent une connaissance sous-estimée des spécificités contextuelles et qu’ils nous permettent, de par leur implication, de renforcer l’ancrage communautaire des mécanismes. L’étude a aussi souligné qu’ils disposent déjà de leur côté des mécanismes de redevabilité parallèles, adaptés aux réalités culturelles et contextuelles, basés sur l’oral et l’informel, et qu’ils ne demandent qu’à renforcer l’apprentissage mutuel avec HI sur ce sujet. Sur la base des résultats de l’étude, nous prévoyons non seulement d’adapter nos guides pour y clarifier le rôle des partenaires locaux, mais également de mettre en place des accompagnements spécifiques sur cette thématique pour les partenaires qui le souhaitent.

À travers ce prisme de l’inclusion et de l’accessibilité, nous continuons donc à renforcer nos mécanismes de redevabilité envers les populations, avec un objectif final toujours présent de renforcer la qualité de nos interventions.

Malgré ces récents chantiers, de nombreux questionnements restent encore présents : comment améliorer les analyses de dynamiques de pouvoir qui impactent les groupes sous-représentés, ce qui permettrait d’avoir des mécanismes de redevabilité adaptés ? Comment passer d’une simple consultation dans nos processus à une réelle participation transformative (pleine implication des différents groupes de population dans la conception, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des actions et politiques qui les concernent) ? Comment renforcer d’autant plus le rôle des organisations locales représentatives de ces groupes de population, à partir des constats posés par l’étude interne ? Comment penser l’approche intersectionnelle dans les situations de crise et avoir des mécanismes de redevabilité également adaptés à ces aspects ? Des questionnements sur lesquels nous avons échangé et nous continuerons de le faire, en interne et en externe, afin d’assurer une amélioration continue de nos pratiques.

 

Laura Mosberg est experte SERA au sein d’Humanity & Inclusion.

  1. https://interagencystandingcommittee.org/a-participation-revolution-include-people-receiving-aid-in-making-the-decisions-which-affect-their-lives
  2. https://corehumanitarianstandard.org/files/files/CHS_French.pdf
  3. https://www.washingtongroup-disability.com/question-sets/
  4. https://interagencystandingcommittee.org/iasc-guidelines-on-inclusion-of-persons-with-disabilities-in-humanitarian-action-2019

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p. 22-27