Auteur(s)

Véronique de Geoffroy, François Grünewald, Charlotte Heward, Laurent Saillard

Introduction

Le Disasters Emergency Committee[1] (DEC) a lancé un appel spécifique lié au COVID-19 le 14 juillet 2020. Fin août 2020, cette campagne de collecte de fonds avait permis de récolter plus de 22,5 millions de livres sterling (25,5 millions d’euros) dont la moitié auprès du grand public, l’autre moitié provenant du gouvernement britannique grâce au mécanisme « UK Aid Match »[2].

Contrairement aux appels du DEC en réponse à des situations d’urgence déjà en cours et à des besoins déjà connus, cet appel a adopté une approche proactive, fondée sur l’idée que répondre le plus tôt possible par des mesures préventives était le moyen le plus efficace d’agir face à la pandémie. La sélection des pays – sur la base des conséquences humanitaires prévisibles qu’engendrerait l’épidémie de COVID-19 – a été difficile. Les décisions ont été prises à partir d’hypothèses et d’informations incomplètes.

Les ressources mobilisées par l’appel COVID-19 ont été allouées aux 14 membres du DEC, déjà actifs dans les 7 pays retenus – en Asie (Afghanistan et Bangladesh pour la crise des réfugiés Rohingya), au Moyen-Orient (Yémen et Syrie) et en Afrique (République démocratique du Congo, Somalie et Soudan du Sud) –, tous identifiés comme pays prioritaires confrontés à une situation critique exacerbée par la crise COVID-19.

Fortement engagé en faveur de la transparence, de l’apprentissage continu et de la responsabilité, le DEC a sélectionné le Groupe URD pour le soutenir dans la réalisation d’une revue en temps réel (RTR). Cette revue poursuivait trois objectifs : 1. Comprendre les impacts de la pandémie sur les contextes d’intervention ; 2. Analyser les ajustements déjà réalisés et ceux restant à mettre en œuvre pour répondre aux besoins et enjeux opérationnels ; 3. Stimuler l’apprentissage et l’amélioration continue des pratiques humanitaires et de la réponse en cours. Le processus d’apprentissage, lancé en octobre 2020, s’est appuyé sur des équipes mixtes de consultants nationaux et internationaux pour la collecte et l’analyse d’informations ainsi que l’animation d’une série d’ateliers nationaux.

 

Impacts du COVID-19 sur les contextes humanitaires

Après plusieurs mois d’incertitude, force est de constater que l’impact sanitaire de la pandémie concerne principalement les pays développés, et en particulier des groupes spécifiques de population : personnes âgées et personnes souffrant de comorbidité. Le graphique ci-dessous illustre très clairement ce constat : c’est en Amérique et en Europe que la grande majorité des décès sont enregistrés.

Il faut cependant préciser que, dans de nombreux pays, les chiffres ne sont pas précis et que l’impact du virus y est donc silencieux. C’est notamment le cas en Afghanistan, en Syrie et au Yémen où les travailleurs humanitaires et les communautés font part d’une hausse significative des décès que les chiffres officiels ne reflètent pas. Une étude réalisée à Aden (Yémen) à l’aide de la technique d’analyse géospatiale sur les cimetières montre par exemple une augmentation de l’activité d’inhumation de 230 % par rapport aux années précédentes[3].

En Afrique sub-saharienne, la situation semble différente. Pour le moment, les études contrefactuelles n’indiquent pas une hausse significative du nombre de décès pour des raisons qui restent à élucider. La démographie, la jeunesse de la population ou une meilleure préparation à la gestion d’une pandémie constituent de possibles explications aux faibles taux de mortalité liés au COVID-19.

Pour autant, l’impact du COVID-19 sur les contextes humanitaires, au-delà du nombre de morts, est considérable. Les mesures mises en œuvre pour ralentir la propagation du virus ont en effet retardé la fourniture de nombreux services et activités essentiels, et ainsi accru les vulnérabilités préexistantes. La fermeture des centres de santé et de planification familiale a eu et continue d’avoir un impact fort, notamment sur les campagnes de vaccination, les grossesses précoces ou, d’une manière générale, la santé maternelle et infantile. Les mesures d’endiguement, l’isolement social, les difficultés économiques et les craintes que celles-ci suscitent pour l’avenir, ont un impact profond sur la santé mentale, phénomène observé et rapporté dans de nombreux pays et qui doit retenir toute l’attention des acteurs de l’aide et des États. Par ailleurs, certains groupes plus vulnérables sont touchés de manière disproportionnée, notamment au niveau de la protection. La fermeture des écoles, les mesures de confinement, la promiscuité, le manque d’activité et le manque de perspectives économiques ont entraîné une augmentation globale de la violence à l’égard des femmes et des enfants. Enfin, la crise sanitaire a réduit l’accès aux services de protection pour les personnes déplacées et les réfugiés.

Les répercussions de cette crise sur la santé économique des ménages et la sécurité alimentaire sont plus préoccupantes encore. Une dégradation significative des niveaux de sécurité alimentaire est ainsi signalée dans de nombreux pays (fin 2020 : 36 % de la population est confrontée à une insécurité alimentaire aiguë en Afghanistan, environ 25 % de la population est en insécurité alimentaire en RDC, 40 % de la population est confrontée à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë au Yémen, etc.). Les mesures prises pour lutter contre la pandémie, qui ont notamment entraîné la fermeture temporaire des frontières, la perturbation des échanges commerciaux, la fermeture d’innombrables établissements privés (magasins, usines, écoles…), l’augmentation des taux de chômage et la diminution des transferts de fonds en provenance de la diaspora ont de lourdes conséquences économiques et sociales.

 

Apprentissages clés à l’aune des critères de la Norme humanitaire fondamentale (CHS)

Les membres du DEC se sont engagés à respecter les engagements de la Norme humanitaire fondamentale. C’est donc sur cette base que les apprentissages clés de la revue en temps réel ont été organisés. Pour les besoins de cet article, un certain nombre d’enseignements généraux utiles à l’ensemble du secteur de l’aide ont été sélectionnés et sont présentés ici.

Engagement 1 : La réponse humanitaire est appropriée et pertinente. Dans le contexte de la pandémie, la pertinence des réponses peut être remise en question à tout moment en fonction de l’évolution de la pandémie et de l’impact des mesures préventives mises en œuvre à son encontre. Si l’approche « sans regret » (qui consiste, face à l’incertitude, à prendre des décisions sur l’hypothèse du pire scénario) et le financement prioritaire de programmes orientés sur la prise en charge sanitaire de la pandémie étaient justifiés au cours des premiers mois et restent nécessaires dans de nombreux contextes, le type de programmes mis en œuvre mérite d’être revu à l’aune des informations désormais disponibles aujourd’hui quant aux différents impacts constatés de l’épidémie.

Partant du constat que cette pandémie a profondément déstabilisé la plupart des systèmes de santé, il faudra continuer à les soutenir pour traiter les patients atteints du COVID-19 ou d’autres maladies. Il demeure en effet crucial d’empêcher la survenue d’une épidémie de grande ampleur dans les camps de réfugiés, comme dans la région de Cox’s Bazar au Bangladesh ou dans les camps de déplacés internes d’Afghanistan ou de Syrie où la densité de population est extrêmement importante et les conditions sanitaires déplorables. Les messages d’hygiène valables pour de multiples risques de contamination ainsi que la fourniture d’équipements de base resteront pertinents. Cependant, tenant compte des impacts économiques de la pandémie – plus marqués sur certains groupes de populations comme les femmes, les enfants et les personnes âgées – et des conséquences en termes de protection et de sécurité alimentaire, les programmes d’aide doivent s’adapter et aller au-delà de l’approche sanitaire prédominante privilégiée au départ.

En matière d’éducation, on constate que les écoles ont fermé pendant une période prolongée dans de nombreuses régions, ce qui a eu un impact important sur les enfants. Le soutien au système éducatif pour garantir l’accès à l’éducation malgré la pandémie s’avère donc essentiel. Des méthodes d’enseignement innovantes pour prévenir et réduire l’abandon scolaire et éviter les effets secondaires négatifs sur les enfants ont été développées et méritent d’être approfondies. Enfin, les programmes de protection face aux violences basées sur le genre, mais aussi de santé mentale et de transferts monétaires, sont devenus urgents pour les populations les plus vulnérables.

Engagement 3 : La réponse humanitaire renforce les capacités locales et évite les effets négatifs. Dans tous les pays concernés par cet appel, il existait une expérience importante de travail avec des partenaires locaux. Celle-ci s’est avérée extrêmement pertinente et précieuse car la crise a souligné, si toutefois cela était encore nécessaire, la valeur ajoutée des partenariats entre acteurs internationaux et locaux.

La localisation de l’aide est un processus à poursuivre et accélérer. Les partenaires locaux doivent être soutenus et mieux reconnus dans leur rôle central de réponse aux crises, ce qui doit se traduire par un meilleur accès aux ressources financières. De plus, les partenaires locaux devraient pleinement participer à la planification et à la prise de décision – pas seulement à la mise en œuvre – car ils offrent, comme l’a démontré cette crise, un ensemble d’avantages comparatifs stratégiques, notamment dans les interactions avec les communautés locales. Un atout d’autant plus important lorsque les mouvements sont limités et les besoins en main-d’œuvre locale plus important. Cela doit cependant être fait de manière à ne pas affaiblir le rôle central des autorités locales dans la gestion de la pandémie.

Engagement 4 : La réponse humanitaire est basée sur la communication, la participation et les retours d’information. Il est désormais admis que l’approche communautaire est essentielle à la gestion des crises sanitaires majeures comme les épidémies. Elle permet en effet une communication dans les deux sens avec la diffusion de messages de prévention d’une part et, d’autre part, un système de surveillance et de référencement des cas de contamination. Or, du fait des contraintes d’accès et d’organisation de réunions publiques, cette communication a dû emprunter de nouveaux canaux. Ainsi, l’utilisation des radios mais aussi des réseaux sociaux s’est largement développée car la poursuite des efforts de prévention et de diffusion de messages de santé publique s’avère primordiale. Cependant, pour optimiser l’engagement communautaire et assurer une confiance dans les politiques sanitaires, il est indispensable de bien comprendre la manière dont les risques sont perçus et de désamorcer les rumeurs. La mobilisation de spécialistes des sciences sociales et de la communication est donc nécessaire. Un enseignement qui reste d’actualité et qui permettra de mieux préparer les futures campagnes de vaccination.

Engagement 8 : Le personnel est soutenu pour faire son travail efficacement, et est traité de manière juste et équitable. Face au risque sanitaire et aux mesures de confinement, de nouvelles modalités de travail à distance et de gestion d’équipe ont émergé. Elles perdureront vraisemblablement et impliquent notamment moins de déplacements internationaux, la reconnaissance et la valorisation des ressources humaines et capacités locales ainsi que l’utilisation de technologies de l’information adaptées. Le devoir de diligence et la protection des équipes ont été deux éléments clés de la réponse à tous les niveaux, auprès des équipes sur le terrain, au niveau des sièges et auprès des partenaires opérationnels. Il est à présent important de voir comment ce devoir de diligence face aux risques sanitaires peut être davantage institutionnalisé et intégré de façon transversale dans la gestion des programmes. En outre, le suivi à plus long terme de l’impact psychosocial et socio-économique de cette crise sur le personnel devrait s’avérer crucial une fois la pandémie terminée car de nombreuses personnes ont été affectées par la crise (décès d’amis ou de parents) et ses mesures d’endiguement telles que le confinement.

 

Conclusion 

Aujourd’hui, l’évolution de la crise sanitaire est encore très incertaine. Pour que la réponse demeure pertinente, il est donc essentiel d’adapter les programmes en continuant à analyser les besoins et leur évolution. L’apparition et la propagation de variants du virus pourraient conduire à une situation de pandémie continue et aggravée, notamment dans les pays africains jusque-là moins affectés par cette crise sanitaire. Il est par conséquent capital de rester vigilant et de suivre les indicateurs de l’OMS, ainsi que d’autres systèmes de suivi sur le terrain comme le taux de fréquentation des centres de santé, la détection de traces du virus dans les eaux usées, l’activité dans les cimetières, etc. Par ailleurs, la gravité de la crise économique mondiale pourrait avoir un impact significatif sur les niveaux de financement de l’aide et induire des réductions du financement humanitaire, ce qui, dans la situation actuelle, pourrait s’avérer dramatique pour les populations les plus vulnérables de nombreux pays et ce, à plusieurs niveaux (économie de la santé, sécurité alimentaire, etc.). Combinées à d’autres facteurs, y compris des conflits, ces conséquences pourraient conduire à l’effondrement de certains pays comme le Yémen ou la Syrie. Dans ce contexte, soutenir les équipes et les partenaires locaux dans le renforcement de leurs capacités de réponse, mais aussi contribuer à accroître la part de financement qui leur revient directement et ainsi élargir leur périmètre d’action, sont des leviers d’actions essentiels pour l’avenir.

 

[1] Le DEC est un collectif composé de 14 organisations humanitaires britanniques : Action Against Hunger, Action Aid, Age International, British Red Cross, CAFOD, CARE, Christian Aid, Concern Worldwide, Islamic Relief, Oxfam, Plan International, Save The Children, Tearfund et World Vision. Lorsqu’une catastrophe de grande ampleur frappe des pays qui n’ont pas la capacité de répondre aux besoins humanitaires en découlant, le DEC collecte des fonds permettant de répondre aux besoins rapidement et efficacement.

[2] Engagement du gouvernement britannique à verser au DEC 1 £ d’aide publique pour chaque livre sterling donnée à un appel à l’aide de UK Aid Match par un particulier vivant au Royaume-Uni, jusqu’à concurrence de 10 millions de livres sterling.

[3] Excess mortality during the COVID-19 pandemic in Aden governorate, Yemen: a geospatial and statistical analysis, Koum-Besson et al., London School of Hygiene and Tropical Medicine, London, United Kingdom.

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